Sultan Mourad V : Vie et Tragédie du Sultan Franc-Maçon

السلطان مراد الخامس

Le Sultan Mourad V occupe une place unique et controversée dans l’histoire de l’Empire ottoman. Il se distingue non seulement par son règne éphémère, mais surtout parce qu’il est le seul sultan à avoir rejoint la franc-maçonnerie.

Son passage au pouvoir fut bref et marqué par la tragédie. Après avoir accédé au trône, Mourad V sombra dans une profonde dépression nerveuse, exacerbée par le décès suspect de son oncle, le sultan Abdülaziz. Cette instabilité conduisit à sa destitution après seulement 93 jours de règne.

Portrait du Sultan Mourad V

Lignée et origines du Sultan Mourad V

Né le 21 septembre 1840 au palais de Çırağan, Mourad V (Mehmed Mourad) est le fils du sultan Abdülmecid Ier et de la sultane validé Şevkefza. Il est issu d’une longue lignée de souverains ottomans remontant jusqu’aux fondateurs de la dynastie.

Sa généalogie impériale s’établit ainsi:

Il est le sultan Mourad V, fils d’Abdülmecid Ier, fils de Mahmoud II, fils d’Abdülhamid Ier, fils d’Ahmed III, fils de Mehmed IV, fils d’Ibrahim Ier, fils d’Ahmed Ier, fils de Mehmed III, fils de Mourad III, fils de Sélim II, fils de Soliman le Magnifique, fils de Sélim Ier, fils de Bayezid II, fils de Mehmed le Conquérant (Fatih), fils de Mourad II, fils de Mehmed Ier, fils de Bayezid Ier, fils de Mourad Ier, fils d’Orhan Gazi, fils d’Osman Ier, fils d’Ertuğrul Gazi.

Jeunesse et éducation d’un prince intellectuel

Le jeune prince Mourad grandit dans un environnement cultivé au palais. Il reçut une éducation soignée, apprenant le Coran, la langue ottomane et les hadiths. Ouvert sur l’Occident, il maîtrisait parfaitement le français et développa une passion pour la culture européenne.

Artiste dans l’âme, Mourad V était un pianiste accompli et un compositeur talentueux de musique occidentale (valses, polkas), dont certaines œuvres sont parvenues jusqu’à nous. Il étudia la littérature française ainsi que la rhétorique turque, montrant un penchant marqué pour la poésie et les arts.

Son intérêt pour l’architecture le poussa à investir des sommes considérables dans la rénovation et l’agrandissement de sa résidence, le manoir de Kurbağalıdere (situé à Kadıköy), ainsi que dans le pavillon de Nispetiye. Ces dépenses témoignaient de son goût raffiné mais aussi d’une certaine prodigalité.

Malgré sa vie privilégiée, les sources historiques décrivent le prince comme une personnalité mélancolique, passant de longues heures en réflexion solitaire.

L’influence occidentale et la Franc-Maçonnerie

En 1867, le prince Mourad accompagna son oncle, le sultan Abdülaziz, lors d’un célèbre voyage diplomatique en Europe. Ils visitèrent notamment Paris et Londres. Le charme et les idées libérales de Mourad suscitèrent l’admiration de l’empereur Napoléon III et de la reine Victoria. Il se lia également d’amitié avec le prince de Galles, le futur roi Édouard VII.

De retour à Istanbul, Mourad maintint des contacts avec les cercles progressistes, notamment les Jeunes-Ottomans (Yeni Osmanlılar), qui prônaient une monarchie constitutionnelle. En 1872, il devint le premier membre de la dynastie ottomane à être initié à la franc-maçonnerie, rejoignant la loge Proodos (Le Progrès), affiliée au Grand Orient de France.

Il suggéra même la création d’une loge indépendante nommée Envar-ı Şarkiye (« Lumières d’Orient »), où les rituels se dérouleraient en langue turque, bien que ce projet ne se soit pas concrétisé de son vivant. Pour en savoir plus sur le contexte historique de cette époque, vous pouvez consulter nos recherches sur Jérusalem Ottomane.

Inquiet de ces influences libérales, le sultan Abdülaziz renforça la surveillance autour de son neveu, limitant ses déplacements et l’obligeant à vivre dans une semi-réclusion.

Un règne éphémère et tragique

Le 30 mai 1876, un coup d’État mené par des ministres réformistes renversa le sultan Abdülaziz et porta Mourad V au pouvoir. Les espoirs de voir s’instaurer une constitution étaient immenses.

Cependant, le destin frappa cruellement. Quelques jours seulement après son avènement, l’ancien sultan Abdülaziz fut retrouvé mort (officiellement par suicide, bien que la thèse du meurtre ait circulé). Ce choc, couplé à l’assassinat de plusieurs ministres lors d’une réunion, provoqua chez Mourad V un effondrement psychologique total.

Terrifié et convaincu qu’on l’accuserait du meurtre de son oncle, le nouveau sultan présenta des signes graves de dépression et de paranoïa. Il devint incapable de gouverner, ne reconnaissant parfois même plus ses collaborateurs. La cérémonie traditionnelle de la remise de l’épée (le sacre ottoman) dut être reportée indéfiniment.

Déposition et isolement

Face à la paralysie de l’État, le gouvernement fit appel au Dr Max Leidesdorf, un éminent psychiatre autrichien. Ce dernier conclut que le rétablissement du sultan nécessiterait au moins trois mois de traitement intensif, un délai que l’Empire, en pleine crise, ne pouvait se permettre.

Les ministres se tournèrent alors vers le frère cadet de Mourad, le prince Abdülhamid, jugé apte à gouverner. Après avoir obtenu une fatwa du Cheikh al-Islam (la plus haute autorité religieuse) attestant de l’incapacité mentale du souverain, Mourad V fut destitué le 31 août 1876.

Son règne n’avait duré que 93 jours, le plus court de l’histoire ottomane. Il fut remplacé par Abdülhamid II, qui allait marquer l’histoire par un règne de 33 ans.

Sultan Murad V, l'Empire ottoman

La vie après le trône: 28 ans de confinement

Mourad V fut confiné avec sa famille au palais de Çırağan, sur les rives du Bosphore. Contre toute attente, sa santé mentale s’améliora après quelques mois de repos, mais Abdülhamid II, craignant un contre-coup d’État, maintint un isolement strict.

Durant ces 28 années de captivité dorée, l’ancien sultan se consacra à la musique, composant des centaines de pièces pour piano, et à l’éducation de ses petits-enfants. Plusieurs tentatives furent menées par ses partisans (notamment l’incident d’Ali Suavi en 1878) pour le libérer et le restaurer sur le trône, mais toutes échouèrent, entraînant un durcissement de ses conditions de détention.

Cette période de l’histoire ottomane a inspiré de nombreux intellectuels, un peu comme Halide Edip Adıvar le fut pour la période suivante.

Décès et héritage

Souffrant de diabète, le sultan Mourad V s’éteignit au palais de Çırağan le 29 août 1904. Ses funérailles se déroulèrent dans la plus grande discrétion, sans annonce officielle ni cérémonie d’apparat, sur ordre d’Abdülhamid II.

Son corps fut lavé au palais de Topkapı puis transporté à la mosquée Hidayet à Bahçekapı. Après la prière funéraire, il fut inhumé auprès de sa mère, la sultane Şevkefza, dans le mausolée de la Nouvelle Mosquée (Yeni Cami) à Istanbul. Son héritage artistique et sa sensibilité unique continuent de fasciner, rappelant la richesse culturelle de la Turquie, tout comme l’art du tapis anatolien témoigne du raffinement de l’époque.

Pour les amateurs de poésie, la sensibilité de Mourad V rappelle celle des grands poètes turcs. Vous pouvez découvrir d’autres œuvres littéraires majeures sur notre page dédiée aux poèmes de Nazim Hikmet.

Le sultan Mourad V était-il vraiment franc-maçon?

Oui, Mourad V a été initié à la franc-maçonnerie en 1872 au sein de la loge Proodos à Istanbul. Il est le seul sultan ottoman confirmé à avoir rejoint cet ordre, espérant y trouver des appuis pour ses idéaux réformistes.

Combien de temps a duré le règne de Mourad V?

Son règne fut le plus court de l’histoire de l’Empire ottoman, ne durant que 93 jours, du 30 mai au 31 août 1876.

Quelle était la cause de sa destitution?

Il fut destitué pour incapacité mentale. Le choc causé par la mort de son oncle Abdülaziz et les troubles politiques déclenchèrent chez lui une grave dépression nerveuse, confirmée par des médecins spécialistes de l’époque.

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